Enjeux et perspectives de l’enseignement universitaire
à distance en milieu carcéral
en collaboration avec la Direction de l'Administration Pénitentiaire

Le rôle de la Région île de France pour le Financement et les Partenariats Universités/Centres de détention

Isabelle This Saint-Jean, Vice-Présidente de la Région île de France

Le volontarisme de la Région île de France
Je vais peut-être commencer par des choses que vous avez dites, mais qui me paraissent nécessaires de redire, et qui justifient le fait qu’on ait mis en place ce dispositif. Vous le savez probablement, l’Enseignement Supérieur et la Recherche ne sont pas des compétences de la Région. Nous avons en charge les Lycées, la Formation Professionnelle, l’Innovation et le Développement. On voit bien que l’Enseignement Supérieur et la Recherche sont pris dans ce nœud, mais nous n’avons pas d’obligation d’agir.
Cependant, nous agissons fortement, surtout que nous sommes en île de France, que 40% de la recherche française est là et que vous savez que c’est un des grands secteurs d’avenir impactant la formation de la jeunesse, la qualification, le savoir, la connaissance – valeurs émancipatrices.
Quand vous avez la chance d’avoir 40% de la recherche française, 16 universités, 45 très Grandes Ecoles , 600 000 étudiants, vous vous dites « on va quand même y aller ! »
Ce n’est pas facile, mais nous y allons. Nous y allons de manière très forte et nous agissons.
Apparaît alors un exercice : regarder les grands objectifs et parmi ceux-ci, on voit la réussite étudiante, amener plus de jeunes à la réussite, et sans parler de Recherche, mais sur l’enseignement supérieur, on voit la nécessité du renouveau, de sa démocratisation et de tendre la main à ceux qui parmi les jeunes sont le plus en difficulté.
Donc dans les grands objectifs politiques affichés, figurent : démocratisation de l’enseignement supérieur et l’attention à aller aider ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont dans une difficulté dans leur trajectoire de réussite dans l’enseignement supérieur.
Là, nous tombons sur un public particulier, cumulant toutes les difficultés, toutes les discriminations : les potentiels étudiants en situation d’incarcération.
Connaissant cela et l’état des prisons, quand on sait que l’éducation est un droit pour toute personne y compris pour les personnes détenues, quand on est en « post-Charlie », vous avez dû en parler, qu’on sait ce qui se passe potentiellement dans les prisons, qu’on se dit qu’évidemment il faut empêcher le prosélytisme et pour le faire se dire que renforcer la possibilité d’éducation peut être un levier.
Quand on prend tout cela, qu’on sait le rôle de l’éducation dans la réinsertion, non seulement professionnelle, mais aussi en terme de capacité de compréhension de la peine, de la part de la personne détenue et donc de capacité de réinsertion ultérieure entrainant une limitation de la récidive, on se dit « Allez, on y va ! »
C’est ce que s’est dit la Région, c’est ce que nous avons fait. Mais comme je vous le disais, je commençais délibérément par cela, nous ne sommes pas dans nos compétences. Nous avons un exercice un peu d’équilibre à faire, à la fois être près des acteurs et ne pas être trop intrusif car, à juste titre, ils ne souhaitent pas la régionalisation de l’enseignement supérieur. Et là ce n’est plus de l’équilibre, c’est du funambulisme, avec parfois des enjeux politiques car, quand vous faites cela, certains vous reprochent de financer les étudiants délinquants, au lieu d’aider les jeunes méritants.
Ce n’est donc pas, politiquement, forcément simple à porter comme dossier.
Mais on y va, en faisant preuve de concept, on fait expérimentation. On essaye pendant deux ans. On met en place une procédure d’évaluation et on regarde ce qui se passe.

L'expérimentation
Nous avons donc commencé par une table ronde, il y a deux ans et demi à peu près, à la Région où on a réunit tous ceux qui sont mobilisés sur cette question en se disant « Où sont les freins ? Pourquoi cela ne marche-t-il pas ? Pourquoi y a-t-il un taux aussi faible d’enseignement supérieur en prison ?». On identifie des problématiques financières pour les personnes détenues ; des problématiques d’ouvrages, des problématiques de moyens de conditions de travail relativement spécifiques qui permettent à une personne détenue de pouvoir se concentrer sur son travail, ne pas être à trois par cellule dans laquelle la télévision est à fond, du regroupement de personnes détenues ; l’équipement informatique des cellules (aujourd’hui, comment enseigner, non seulement à distance, mais aussi en présentiel, sans un équipement informatique des cellules ?) ; un aménagement du temps à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, pas de déplacements arbitraires de la part de l’établissement pénitentiaire ; une volonté de la part de l’établissement et des enseignants d’agir. De la part des enseignants, cela veut dire, non seulement des UPR, il faut évidemment que les UPR soient présents, de bonne volonté, que l’établissement administratif soit aussi de bonne volonté (la photo d’identité pour les inscriptions en est un bon exemple, si vous n’avez pas un établissement pénitentiaire qui, au moment où cela bloque, fait tout pour le lever, vous n’y arrivez pas).
Il faut des bonnes volontés partout et que l’université accepte de s’engager dans une procédure de ce type – je voudrais vraiment remercier l’université de Marne-la-Vallée et tous ceux qui s’y sont impliqués.
On identifie les points de blocage, on identifie un établissement privilégié qui est Fleury-Mérogis. Au début, quand on m’a dit cela, je ne comprenais pas, car ce n’est pas pour de longues peines, mais vous connaissez la situation des prisons, donc cela concerne aussi de la longue peine et nous pouvons donc y aller. C’est aussi le plus grand établissement pénitentiaire de la Région et qui accueille des femmes, je tenais à ce que nous agissions aussi auprès des femmes, et que nous ayons un personnel administratif extrêmement accompagnant. Nous avons eu un directeur d’établissement pénitentiaire, monsieur Moreau, qui a été absolument formidable dans la mise en place de l’expérimentation. Il a tout levé à chaque fois qu’il y avait une difficulté avec l’université. Nous savions qu’une des clés de la réussite était dans la collaboration entre l’université, l’UPR, l’établissement pénitentiaire, la Région et les associations, elles sont tout le temps dans le dispositif. Tout le monde travaille ensemble sur ce dispositif.
Dans ce dispositif, nous intervenons financièrement de quatre manières.
La première chose que nous faisons pour lever la problématique de condition financière des détenus, est d’attribuer des bourses. 200€ par personne détenue qui est la limite à partir de laquelle cela tombe dans la caisse d’indemnisation des victimes et au-delà, notre dispositif ne servirait plus à aider l’enseignement, mais à l’indemnisation des victimes. C’est évidemment très important aussi, mais ce n’est pas sur ce dont nous voulions agir.
Nous achetons des livres, 150€ par détenu en passant par une association. Nous avons une convention avec Fleury-Mérogis. Nous leur donnons de l’argent, en échange de quoi Fleury-Mérogis s’est engagé à trois choses : pas de déplacement arbitraire, le regroupement de personnes détenues et l’aménagement du temps sur lequel ils étaient déjà sensibilisés, enfin, l’équipement des cellules que nous aidons financièrement.
En ce qui concerne les universités, il y avait déjà à Paris, l’Université Paris 7 qui a une section d’étudiants empêchés et auxquels nous avions, dans le passé, déjà apporté une aide lorsqu’ils avaient perdu des subventions qu’ils avaient antérieurement de la part de l’Etat, et se trouvaient vraiment en grande difficulté financière. Paris 7 intervenait au-delà des murs de l’Académie de Paris. Sur Fleury-Mérogis, il y avait déjà une relation avec l’université de Marne-la-Vallée et nous avons conventionné avec cette université qui s’est engagée à ne pas faire payer les droits d’inscription, renforcer le présentiel - même si je sais que vous avez parlé d’enseignement à distance, le présentiel a ceci de particulier qu’est la rencontre humaine et son extrême importance dans le retour de la personne détenue sur elle-même, sa capacité à prendre en compte sa propre histoire et sa propre trajectoire.
Ce renforcement du présentiel est tel, que l’université de Marne-la-Vallée est allée jusqu’à créer un département dédié à l’enseignement en prison, et je remercie vraiment tous les enseignants engagés dans cette aventure et plus particulièrement l’une d’entre-elles qui se reconnaîtra.

Les résultats
Nous avons lancé l’expérimentation pour deux ans, nous avons une étude d’évaluation qui a été faite –évidemment, c’est excellent. Le taux de réussite aux examens était de 88%, la première année, il y avait encore des déplacements, car Fleury-Mérogis n’était pas encore en capacité d’éviter les déplacements. C’est un résultat extraordinaire, il y a un effet très bénéfique sur la vie dans l’établissement pénitentiaire, d’apaisement. La troisième chose concerne évidemment les effets personnels dont tous ceux et celles d’entre vous qui ont déjà discuté avec une personne détenue passée par de l’enseignement dans un établissement pénitentiaire ont pu percevoir les manifestations - cette espèce de libération, de compréhension, de retour sur soi qui fait que la vie n’est pas la même quand on en a bénéficié ou pas.
Des effets extrêmement bénéfiques, mais maintenant l’expérimentation est achevée, le résultat est là : cela marche.
Il faut, à mon avis, absolument qu’un dispositif de ce type soit porté nationalement, car ce ne sont pas les Régions qui peuvent le faire. Une impulsion nationale est nécessaire.
Financièrement, je sais que nous sommes dans une situation contrainte, mais au regard des bénéfices obtenus ce n’est pas coûteux. Nous avons octroyé 80 bourses la première année et 86 la deuxième année, cela représente 330 000€ au total ; pour les livres 25 000€ ; au titre de la convention triennale avec les deux universités 240 000 et pour l’aide à Fleury-Mérogis à l’équipement des cellules 56 000€.
C’est donc une question de volonté, de savoir si oui ou non on prend ce dossier en main. Le coût ne peut pas servir de prétexte pour ne pas le faire.
Y a-t-il une volonté politique ? Est-ce que cette volonté politique permettra, par académie, d’identifier un établissement référent qui mettra en place ces opérations, qui portera ce que vous proposez en terme d’enseignement à distance sur la base des nouvelles technologies - d’ailleurs enseignement en présentiel et enseignement à distance ne sont pas incompatibles, mais totalement complémentaires.
Je pense qu’une université référente par académie, par région, peut vraiment aider à cela.
Cela permet aussi aux personnes détenues une fois qu’elles sortent des murs de trouver des référents, au lieu d’être perdues face à l’enseignement supérieur, aux universités dans lesquelles sont nouées des relations. Ces universités feront aussi le lien avec le CNOUS, de manière à ce que les dispositifs de droit commun s’appliquent. Nous avons déjà une première bonne nouvelle qui est un effet indirect de votre mobilisation collective, les bourses de droit commun sont aujourd’hui ouvertes aux personnes détenues ? C’est une première étape, à 35 ans, le couperet tombe pour les bourses, il faut aller encore plus loin. Dès que la personne détenue sort d’incarcération, il faut que la bourse arrive et que le logement social arrive. Sinon tout le travail effectué ne sert à rien, ils n’ont pas d’autre choix que la récidive.

La suite
Il faut qu’extrêmement rapidement, à l’intérieur d’un espace géographique rectoral, du CROUS, les interlocuteurs soient mis dans la boucle. Il faut une volonté politique, un travail de coordination entre les différents acteurs : l’Administration Pénitentiaire, les SPIP, les universités (je sais qu’une réflexion sur ce sujet est en cours au niveau de la CPU et je m’en réjoui). Il faut que les CROUS soient dans la boucle, il faut embarquer avec nous les associations et celles-ci ne demandent que cela.
Je suis sûre que nous ferons ainsi avancer ce dossier qui, même s’il peut apparaître comme un dossier mineur pour les universités, est un élément majeur, non seulement pour les valeurs profondes que nous portons, mais même de manière plus intéressée, en terme de sécurité publique et de lutte contre la récidive, contrairement à des propos parfois démagogiques que nous pouvons entendre lorsqu’on se préoccupe de ces questions.
Voilà l’expérimentation, si vous pouvez d’une manière ou d’une autre nous aider à convaincre... Certains d’entre vous me connaissent, j’essaie de porter ce dossier au niveau national. J’en ai parlé à plusieurs reprises à la ministre de la Justice, Christiane Taubira, entre deux portes, qui est au courant du dispositif et qui m’a répondu vouloir me recevoir. J’en ai parlé au Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, récemment aux conseillers enseignement supérieur de Matignon et de l’Elysée.
Je suis obligée d’abandonner l’université de Marne-la-Vallée. J’ai pu le faire deux ans, dans un exercice de funambulisme et je ne peux pas continuer au-delà des deux années de l’expérimentation.
Maintenant, il faut de manière urgente que cela soit repris.

 

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FIED - Alain Boivin