Enjeux et perspectives de l’enseignement universitaire
à distance en milieu carcéral
en collaboration avec la Direction de l'Administration Pénitentiaire

Le rôle de l'avocat dans l'information, la stimulation et l'assistance des étudiants : un relais pour l’EAD en milieu carcéral

Maxime Delhomme, Avocat au Barreau de Paris.

Je suis sensible au sujet des études, pas seulement parce que j’en ai fait, je n’ai pas falsifié les diplômes, mais parce que je les ai faites par correspondance. Je me suis moi-même déscolarisé à l’âge de 15 ans et suis assez sensible à cette question et, après avoir fait mes études, je me suis retrouvé diplômé en Sciences Criminelles, c’est encore avant l’ancien système quand il a été parlé de DEA de Sciences Criminelles, un parcours au barreau de secrétaire de la conférence du stage qui m’a fait faire quelques milliers de commissions d’office et donc une activité de visiteur de prison assez intensive. Comme j’étais moi-même dans un parcours atypique, je me suis aussi intéressé au parcours des autres.
D’abord, parce que, quand on est entré en prison, la première et centrale question est « quand est-ce que je sors ? ». C’est un art divinatoire.
La seconde question est « Comment est-ce que j’en sors ? » et j’ai toujours envie, par rapport à cette question parce que je ne sais jamais très bien comme y répondre, de prendre le comment dans un autre sens, et qu’elle devienne « Tu viens d’où et tu sors dans quel état ? »
Bien sûr, on va commencer à parler avec eux du passé, parce que c’est le dossier. Les gens qui sont en prison soit ils sont coupables, soit, pire, ils sont malchanceux. Il n’y a pas d’autre cas de figure, je n’ai pas vu autre chose. Ce sont donc forcément des gens qui ne marchent pas bien, mais en même temps ils ne sont pas idiots, ils sont capables de le comprendre, ils font eux-mêmes le diagnostic.
Vous avez parlé tout à l’heure de la torture que certains avaient connu avec des instituteurs, etc. je dirais que personne n’a parlé mieux que Camus de son instituteur ou Kurosawa de son sensei, là nous sommes avec des gens qui n’ont pas eu cette chance. Vous savez, il y a des gens qui vous disent « moi, j’ai eu une chance extraordinaire », mais quand vous ne l’avez pas eue cette chance, vous ne le savez pas puisque vous ne l’avez pas eue. Ils sont tous dans cet état-là. Il y avait un magnifique livre d’un expert psychiatre près la cour d’appel de Paris pendant 30 ans qui s’appelait Yves Roumajon, intitulé « Ils ne sont pas tous nés délinquants » et je renverrais volontiers à cet ouvrage d’expérience et d’homme intelligent.
La prison est en elle-même un système éducatif. On dit bien d’ailleurs qu’on y apprend des tas de choses qui sont assez contre la société, mais on y apprend quelque chose. On y apprend par l’exemple c’est à dire que c’est assez compliqué, il y a tout un tas de types qui vous expliquent tout un tas de combines, mais qui ont évidemment foiré, puisqu’ils sont là. Et tout le monde se dit dans la prison que cela ne doit pas être si bon que cela, sinon ils ne seraient pas là, avec nous.
Il y a cet espèce de plus et de moins d’approche, de plus et de moins de diagnostic et c’est un temps de repos aussi. J’ai le souvenir de ce gars qui n’était pas du tout de classe difficile, puisque c’était le fils d’un de mes clients qui s’était lancé dans le trafic de stupéfiants en disant « j’ai essayé de travailler honnête, mais cela ne paye pas beaucoup ». Je lui réponds que « là, cela ne paye pas du tout, tu es en prison ». Et il me répond « oui, accident du travail ! »
Il était donc parfaitement inséré, dans une logique…
Dès le moment qu’ils arrivent à cette constatation que leur système n’a pas marché, nous pouvons les cueillir. Nous pouvons être ce personnage d’éveilleur.
Pour nous, avocats, c’est assez facile pour plein de raisons. D’abord parce que nous sommes assez proches d’eux, car nous sommes totalement différents. C’est bien visible, c’est un rôle assez clair, on est une utilité, on est un entrebailleur de portes, mais d’un autre côté, on est un relai - il y en a qui sont un relai postal, il y a tout un tas de commerces très compliqués dans une prison. C’est un univers social où tout est possible. Mais il a quelque chose qu’il est possible de dire aux gens : « Tu veux y revenir ?.. » C’est une incitation.
La seconde incitation c’est que dans le « Comment est-ce qu’on s’en sort ? » il y a un personnage qui est le maître du temps, le maître de l’horloge : c’est le juge.
La soumission, je résume pour ceux qui ne pratiquent pas la justice, c’est un acte d’allégeance. La seule chose qui est le levier sur un juge est de lui faire allégeance, car la seule chose dont un juge a peur, c’est qu’on lui bascule son tribunal sur la figure. Donc dès le moment où on fait allégeance, ce n’est pas compliqué, vous commencez les bras croisés, le gars est tendu, vous montrez les paumes des mains, il respire mieux, cela va mieux… Il y a « le dernier voyage du juge Feng » pour les cinéphiles…
Le problème du détenu est comment faire allégeance sans perdre son honneur, c’est important l’honneur en prison, à l’extérieur aussi, mais on s’en aperçoit moins. Faire soumission, mais sans trop... et les études c’est assez fantastiques, c’est un vecteur fantastique. Ils vont s’engouffrer là-dedans car ils parlent au juge dans la foi du juge. Le juge, c’est qui ? C’est un gars qui s’en est sorti parce qu’il a fait plus d’études que les autres. Donc si je lui parle sa religion, on ne parle plus beaucoup de religion maintenant en prison, surtout que la religion majoritaire n’est pas forcément la mieux vue. Autrefois, mes très anciens confrères passaient leur temps à convertir leurs clients pour montrer qu’ils étaient devenus des bons paroissiens… mais maintenant, nous sommes au troisième degré sur la question et laissons tomber… Par contre, aller voir un juge – et nous, en plus, nous sommes incitateurs de cela - et lui dire « Monsieur le juge, il a repris ses études », on fait le chanoine mais bon….
J’ai cette histoire qui me fait encore rire, 25 ans après où le gars me dit « Maître, vous direz au juge que j’ai passé le BEPC » et je lui réponds que ce n’est peut-être pas la peine, car c’est la troisième fois… C’était un spécialiste du BEPC, il arrivait toujours devant le juge en disant j’ai passé le BEPC.
On a cet aspect-là, du juge qui en réponse va peut-être détecter les fausses velléités – comme mon gars qui passe le BEPC à chaque fois qu’il est incarcéré. Mais d’un autre côté, c’est aussi de lui parler dans le langage qu’il a envie d’entendre. Nous sommes là, sur des domaines où nous jouons au centimètre.
L’autre aspect qui m’apparaît, moi qui ne les voit qu’en Maison d’Arrêt. Je ne les vois jamais quand ils sont condamnés définitivement et qu’ils vont prendre quinze ans pour faire de longues études supérieures. Je n’ai pas cet étagement là, mais ce que je me dis, c’est que cet étagement des études supérieures, par rapport aux autres études, pourrait peut-être être remis un peu en question. Ce n’est pas parce qu’on est inculte qu’on n’a pas de facultés d’abstraction. Vous avez dans ces milieux-là des gens qui, pour des raisons de défauts d’éveilleurs dont j’ai parlé tout à l’heure, sont à un niveau très bas par rapport à notre système hiérarchique, mais qui ont peut-être les capacités de comprendre des choses. Il y a de l’enseignement qui n’est pas d’un haut niveau d’abstraction qui peut être très utile, pour travailler, pour changer de vie etc., mais puisque nous parlons d’études supérieures, parlons de choses qui sont importantes pour le faire : la capacité d’imaginer, la capacité d’abstraction. Par contre, ils sont probablement à un point où ils ont, plus que d’autres, une capacité à faire de l’auto-évaluation. Car justement ils ont été arrêtés dans leur course et pour nous tous qui avons fait des études supérieures, notre auto-évaluation nous ne la faisons pas tellement « auto », nous la faisons parce que nous avons réussi à des examens et on se dit que c’était le bon système. Là, quand ce sont des gens qui partent d’un certain niveau d’inculture, ils vont être obligés de faire une évaluation eux-mêmes, et c’est là où je me suis dit que plutôt que de faire des paliers infranchissables avec notre système où nous les ferons grimper comme nous, les bons élèves, je pense que ce ne serait pas forcément une mauvaise idée de se remettre un peu en question sur ce point-là.
La sensibilisation des avocats
Je pensais que mes confrères pourraient être sensibilisés, dans la partie qui les concerne, c’est-à-dire la partie avant la détention, éventuellement longue et définitive, de faire un travail permettant ce diagnostic et permettant, au carrefour où ils sont, d’orienter, de donner des pistes parce qu’ils sont à côté du problème, y sont sensibles. Cela leur est utile car il faut qu’ils aillent montrer au juge qu’il s’est passé quelque chose et qu’ils sont comme les autres, ils aiment bien se rendre utiles quand même.
Ils ont une assez bonne écoute et aussi il y a quelque chose qui pourrait être assez utile, c’est qu’ils sont en général d’assez bons vendeurs.
Cela ne serait peut-être pas mauvais de leur donner un peu de matériel. Une fois que nous aurions fait un petit travail là-dessus, je pense que pour l’Ordre auquel j’appartiens, celui de Paris, cela ne prendra pas plus de 5 minutes de débat pour faire diffuser. Je pense que nous aurions peut-être aussi un retour d’expérience car dans notre cheminement universitaire finalement bien balisé, il y a des étapes que nous passons un peu vite. Je m’inquiète beaucoup par exemple des notations d’universités en me demandant ce qu’est cette espèce de fausse compétition, car ce qui est plus important, c’est d’avoir envie d’apprendre, d’avoir envie de passer sa vie à apprendre quelque chose et c’est peut-être quelque chose qu’on peut transmettre et que je serais heureux d’essayer de transmettre.

 

oOo

FIED - Alain Boivin