Enjeux et perspectives de l’enseignement universitaire
à distance en milieu carcéral
en collaboration avec la Direction de l'Administration Pénitentiaire

Etudiants en milieu carcéral : de l'enseignement présentiel à la distance

Karine Marot, Vice-Présidente adjointe vie étudiante, Université Paris-Est Marne-la-Vallée
Jean-René Gauvreau, Responsable Local d’Enseignement, Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis

Karine Marot : Je suis Vice-Présidente adjointe vie étudiante donc assez loin du milieu carcéral. J’ai été missionnée par le Président pour la mise en œuvre de la convention tripartite qui a été signée par la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, la Région île de France et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.
 
La convention tripartite avec la Région île de France
Dans la convention, nous avions simplement à inscrire gratuitement les étudiants incarcérés dans nos diplômes. C’est tout ce dont nous étions tenus réellement, mais nous avions la possibilité de proposer des projets d’enseignement qui seraient en partie financés par la Région. J’ai fait une proposition et après avoir beaucoup lu sur le sujet, j’ai vite compris que ce qui comptait était le présentiel.
Il y avait beaucoup de choses qui existaient à distance, mais en présentiel, en île de France, il n’y avait que l’Université Paris 7 Diderot qui y travaillait sur certaines licences, et il me paraissait incontournable que nous puissions entrer à Fleury-Mérogis.
Le premier problème était celui de la distance, il y a 100km entre Marne-la-Vallée et Fleury-Mérogis. D’autre part, nous ne sommes pas dans la même académie. Fleury-Mérogis dépend du rectorat de Versailles et Marne-la-Vallée de celui de Créteil.
Néanmoins, nous avons construit quelque chose qui tient la route, perdurera même si les financements régionaux s’éteignent, ou en tout cas diminuent, puisque nous avons réussi à construire à Marne-la-Vallée ; ce qui est une section des étudiants empêchés.
A faire du présentiel, j’étais un peu toute seule au début du projet avec un collègue investi dans le milieu carcéral depuis longtemps, Christian Delacroix qui a pris sa retraite, auprès duquel j’ai beaucoup appris. Je me suis alors posée le problème de convaincre des collègues à aller enseigner en prison. Je n’ai pas eu de mal à le faire car ils étaient déjà convaincus avant que je ne leur en parle et dès qu’ils ont su que cela existait, beaucoup m’ont interpelée directement, manifestant leur intérêt et demandant ce qu’on ouvrait à Fleury-Mérogis.
Nous avons quand même 180 diplômes et il n’était pas possible de tout proposer à cause des problèmes posés par les stages ou l’apprentissage qui sont la base d’un grand nombre de nos diplômes qui ne pouvaient pas être facilement transposables en milieu carcéral.
 
Les étudiants
Nous sommes allés rencontrer le Proviseur de Fleury-Mérogis et avons pu rencontrer tous les étudiants qui souhaitaient s’inscrire ou qui avaient le bac ou le DAEU souhaitant s’inscrire dans les licences.
Bien sûr, ces étudiants étaient triés, puisque c’est le RLE (Responsable Local d’Enseignement) qui s’en occupe avec l’équipe enseignante du centre scolaire et ce sont eux qui sont les premiers à dire si ces étudiants peuvent suivre un cursus de Licence, plutôt quelle Licence et qui récupèreront ensuite leurs diplômes par exemple.
Nous rencontrons donc ces étudiants qui, comme tous les bacheliers, sont un peu perdus devant la richesse extraordinaire du monde universitaire, ont une image du diplôme pas tout à fait conforme à la réalité (par exemple on fait STAPS parce qu’on fait du sport, mais à Marne-la-Vallée, on y fait de la sociologie). Cela dit, ils ont déjà une certaine idée de ce que nous faisons grâce au RLE, ils savent quelles sont leurs compétences et aussi pourquoi ils veulent le faire.
Pourquoi veulent-ils faire cela ? C’est vrai qu’ils bénéficient d’une bourse du Conseil Régional d’île de France et cela détermine beaucoup le désir de faire des études, mais dans notre programme à Fleury-Mérogis, nous inscrivons tout le monde, pas seulement les boursiers. La bourse est certes un critère mais c’est très loin d’être le seul. Nous avons vu, l’an dernier, certains s’inscrire pour la bourse, puis se prendre au jeu et devenir des étudiants. Ils passent toute l’année à devenir des étudiants.
 
Les cours
Ensuite, il a fallu s’adapter, car on ne peut pas faire autant d’heures de cours en maison d’arrêt surtout que nous avons ouvert plusieurs diplômes. Nous avions des premières années communes à plusieurs licences, 8 diplômes ouverts l’année dernière et des enseignants pouvant intervenir, mais ne pouvant se rendre à Fleury-Mérogis toutes les semaines.
Nous avons donc fabriqué du cas par cas, c’est-à-dire dépendant de l’enseignant responsable de la matière et de ses disponibilités d’emploi du temps. Par exemple, je fais des cours de géographie à Fleury-Mérogis dans le cadre de la Licence 1 SHS, de la Licence 2 Histoire et avec mon collègue géographe nous nous rendons à peu près toutes les trois semaines à Fleury-Mérogis, lui pour voir les premières année et moi le seul étudiant inscrit en deuxième année. Notre temporalité est donc un cours de trois heures toutes les trois semaines. Nous arrivons avec le cours magistral en version papier, le distribuons à chacun des étudiants et leur demandons de le lire pour notre intervention suivante. A notre intervention suivante, ils ont lu en général le document fourni, nous revoyons avec eux s’ils n’ont pas compris certaines choses et nous travaillons sur des documents qui sont ceux que nous utilisons en TP avec nos étudiants de première année. Nous faisons donc exactement la même chose en terme de contenu, même si nous le faisons avec des modalités assez différentes.
Cela fonctionne très bien, nous nous trouvons avec des étudiants en début d’année qui manquent surtout de méthodologie. Ils sont plus âgés que nos étudiants de L1, leur âge est plutôt autour de 40 ans. Comme ils sont très investis et ils font ce que nous leur demandons, contrairement à des étudiants de première année, nous avançons vite, très, très vite… Avec notre étudiant de deuxième année, nous sommes parfois dépassés parce qu’il va plus vite que ce que nous lui amenons. Cela peut être rebutant de recevoir des liasses de papier quand on est inscrit à un cours à distance, mais il y en a qui sont vraiment passionnés par les disciplines qu’ils ont choisies même s’il n’y a pas un but derrière de sortie de prison puisque notre étudiant de L2 par exemple, est là pour une longue peine. Juste une anecdote pour cet étudiant qui est là pour de longues années et depuis de très longues années. Lui enseigner la géographie n’est vraiment pas facile, car la géographie c’est le monde d’aujourd’hui. Ce que nous enseignons, c’est 2015 sauf que lui ne sait pas ce qu’est 2015 hors de la prison, lui ne sait pas ce qu’est vraiment un smartphone par exemple. Il est complètement en dehors de la société et il n’a pas choisi de faire une licence de géographie, mais une licence d’histoire et je conçois qu’il faut d’abord lui expliquer le monde dans lequel on vit dehors pour pouvoir lui faire des cours de géographie.
Ce que nous avons construit est donc un peu hybride, c’est à la fois de la distance puisque nous donnons nos cours et de la présence, puisque le tutorat nous semble tout à fait essentiel.
 
Réussites et difficultés
C’est extrêmement gratifiant, pour nous enseignants, de faire du présentiel en milieu carcéral parce que le public est beaucoup plus investi, ce qui les étonne lorsque nous leur disons. Cela ne signifie pas que tout est rose car certains matins, lorsqu’on se retrouve en salle d’attente où on va piétiner les mains vides - on entre les mains vides, juste avec nos cours et nos livres - et nous allons attendre une demi-heure car il y a un problème, nous sommes coincés… Ou lorsque nous arrivons au centre scolaire et que les élèves ne sont pas là, car il se trouve que la personne qui fait la note de service était malade et que la note de service n’est pas partie pour des raisons qui nous échappent... Ou encore lorsque nous arrivons et qu’il manque la moitié des étudiants qui finiront par arriver une heure et demie après… heureusement que le cours dure trois heures.
Ce qui est très dommage, c’est que lorsque nous avons commencé, nous réunissions tout le monde, tous les bâtiments de Fleury-Mérogis étaient concernés, il y en a 7 dont 3 enceintes . Nous ne nous adressons pas aux mineurs cela ne concernait donc que 5 bâtiments car un autre était en travaux et les femmes venaient dans le quartier des hommes ou inversement les hommes venaient dans le quartier des femmes pour leurs cours. Cela change tout. Mélanger les publics femmes et hommes rend pour nous les choses beaucoup plus faciles. Nous travaillons beaucoup mieux lorsqu’il y a des femmes avec les hommes car là, ils deviennent extrêmement respectueux, prévenants, gentils, agréables, aimables. C’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. Le cours se déroule d’une manière plutôt festive, chacun intervenant en fonction de sa culture qu’il s’est construite par le biais de documentaires, ils sont friands des documentaires diffusés à la télévision. Ils nous interpellent sans cesse, ils sont persuadés d’avoir raison sur tout un tas de choses du quotidien alors qu’il faut leur apprendre que la démarche scientifique n’est pas ce qu’on croit savoir et qu’elle reste à construire avec eux.
Tout cela n’est possible que grâce à l’aide des enseignants, les RLE, qui travaillent avec monsieur Boussarie (Proviseur de l’UPR de Paris) et du proviseur de l’ensemble des centres scolaires de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis. C’est pour cette raison que j’ai demandé à monsieur Gauvreau de m’accompagner, car nous sommes deux pour arriver à faire que ce cours d’enseignement supérieur puisse se dérouler.
 

Jean-René Gauvreau : Je suis un des six responsables locaux d’enseignement de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis. Il faut savoir que Fleury-Mérogis compte actuellement 4 000 détenus, 7unités de détention dont une est fermée, une unité pour mineurs et d’autres bâtiments concernés par le dispositif de cours mis en place par l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée. Au début, nous avons connu ce mélange qui était vraiment génial, aussi bien des hommes, des femmes venant de différentes unités de détention. Malheureusement, pour des problèmes d’organisation logistique et d’insuffisance récurrente des effectifs de l’administration pénitentiaire, il n’a pas été possible de le poursuivre. Ce qui fait qu’aujourd’hui, ce dispositif est réduit à deux bâtiments : un bâtiment uniquement de prévenus donc de détenus non encore jugés et un bâtiment de personnes condamnées dans lequel j’exerce la fonction de RLE. Nous regroupons ces deux bâtiments pour la tenue des cours universitaires, ce qui n’est déjà pas simple, Karine l’a déjà indiqué, pour avoir les personnes en temps et en heures pour assister aux cours.
Mon rôle consiste surtout à faire un lien entre l’université et ces personnes, car je crois qu’en détention il y a besoin d’humain. L’enseignement à distance c’est bien, mais c’est très impersonnel, c’est un paquet de cours qu’on remet à l’étudiant. Or il n’y a que l’humain qui puisse lui apporter l’encouragement, l’aide au quotidien et, effectivement établir la relation entre une personne détenue et l’extérieur, Alain Boussarie parlait que le handicap numérique, est très compliqué et le RLE joue un peu ce rôle d’intermédiaire. Cela peut être en particulier avec l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, mais aussi dans un cadre plus large de l’enseignement à distance.
Les plateformes de téléchargement existent, l’enseignement à distance s’est mis à l’heure du numérique, mais nos personnes incarcérées n’y sont pas, nous sommes toujours à l’ère du papier et cela ne peut passer que par des échanges avec de l’humain. De l’humain apporté par les quelques cours dispensés par les professeurs de l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée et, humain au quotidien, apporté par le RLE et les autres enseignants du centre scolaire.
Je crois que Karine parlait d’étudiants intéressés, motivés, mais il faut aussi les encourager, car ils ont parfois des périodes de découragement, la vie en détention n’est pas simple – il y a les mauvaises nouvelles, dans une maison d’arrêt comme Fleury-Mérogis, il y a une surpopulation, l’encellulement individuel auquel toute personne condamnée devrait avoir droit n’est pas toujours respecté, car la population carcérale atteint 66 000 personnes en France, et une maison d’arrêt n’ayant pas vocation à avoir des détenus condamnés, ils ne sont qu’en situation de passage. Cette situation de passage pose aussi un problème, car les personnes ayant commencé à suivre les cours avec les enseignants de Marne la Vallée devront arrêter quand ils partiront en Centre de Détention ou s’ils sont libérés. Dans ce dernier cas, cela peut représenter un intérêt, car nous avons des personnes qui ont essayé, au moins pour le DAEU, de poursuivre leur scolarité, ici, sur le site de l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée. Cela reste aussi à construire, car il faudrait peut-être faire en quelque sorte un sas entre la prison et l’université. En effet, plonger quelqu’un qui a été captif un certain temps, donc privé de liberté, dans un milieu dans lequel il n’a pas eu l’habitude d’évoluer, demande qu’on construise ce que je pourrais appeler un sas. C’est le travail que j’essaie de construire avec mes 5 autres collègues pour ces personnes qui suivent des enseignements universitaires.
Questions/réponses :
Claire Hanen (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) : J’aurais une question peut-être plus institutionnelle. Dans votre établissement, lorsque vous avez mis en place ce projet, j’imagine que le fait d’aller enseigner en prison est reconnu dans les services. Comment cela se passe-t-il au niveau local pour la gestion des équipes d’enseignants ?
Karine Marot : C’est assez simple, nous déclarons dans nos services les heures effectuées à la maison d’arrêt de la même manière que nos heures de cours effectuées en présentiel dans nos locaux. Ces heures sont rémunérées en Travaux Dirigés, même si ce sont des Cours Magistraux que nous dispensons. Cela dépend d’un volant horaire d’environ 300 heures qui y sont affectées annuellement.
Anne Fraisse (Présidente Université Paul Valéry-Montpellier 3) :J’aurais voulu savoir quels sont les diplômes que vous proposez. Vous en avez indiqué 8 sans les préciser.
Karine Marot : Je ne les ai pas cités volontairement, car l’année dernière nous avions ouvert des diplômes et, cette année, nous nous sommes recentrés. L’année dernière pour une première expérience, nous avions ouvert une 1ère année SHS (Sciences Humaines et Sociales) qui aboutit en 3ème année à trois diplômes différents, Histoire, Géographie et Sociologie. Nous avions aussi ouvert une 1ère année de Licence Economie-Gestion et, en fait, nous ne l’avons pas tenue jusqu’au bout. En effet cela a très bien fonctionné avec l’équipe d’enseignants du premier semestre, mais absolument pas avec l’équipe du second semestre. Nous avons donc décidé de ne pas mener cette formation jusqu’à son terme. Nous avons ouvert une 1ère année d’Anglais, d’Espagnol et de LEA (Langues Etrangères Appliquées). A l’usage, les collègues de langues qui se sont rendus à Fleury-Mérogis, ont préféré n’ouvrir qu’une 1ère année de LEA, ce qui ne les empêche pas d’avoir des étudiants en seconde année d’anglais ou d’espagnol, mais cela leur paraissait à la fois plus simple pour eux et plus adapté aux désirs des étudiants.
Anne Fraisse : Sur ces diplômes, vous arrivez à avoir des enseignants, il y a des aménagements ou c’est l’ensemble des mêmes matières exactement et l’ensemble des cours qui sont assurés ou certains le sont-ils seulement en distance ?
Karine Marot : C’est très différent d’un diplôme à l’autre. J’ai oublié d’indiquer que nous avons ouvert cette année une licence de Mathématiques-Informatique puisqu’il y a des cellules à Fleury-Mérogis qui doivent être équipées en matériel informatique. Cela dit, elles ne le sont pas encore et il semblerait que ce soit opérationnel à la prochaine rentrée de septembre. Nous nous contentons donc de ne faire que la partie Mathématiques, nous attendons pour la partie Informatique et espérons pouvoir la faire l’année prochaine. Il y a cependant certains étudiants qui ont déjà acheté l’ordinateur agréé dont parlait monsieur Boussarie tout à l’heure et nous avons réussi à faire entrer des logiciels à l’intérieur de la maison d’arrêt.
Pour en revenir aux modalités, pour les diplômes de langues, nous avons deux enseignants qui se rendent plus souvent qu’une fois toutes les trois semaines. Ces deux enseignants effectuent des séances de 6 heures, trois le matin et trois l’après-midi. Ils se chargent de tous les cours de la maquette de LEA et enseignent bien sûr en LEA en présentiel. En histoire, Géographie et Sociologie, nous fonctionnons très différemment, puisque chaque enseignant de CM se rend à la maison d’arrêt. Nous avons également un peu changé les maquettes, en ce sens que pour les options, il n’y a pas de choix possible pour les détenus. Par exemple, ils suivent tous l’option géographie puisque nous sommes deux géographes impliqués à Fleury-Mérogis Nous avons donc aménagé à la marge les maquettes d’enseignement classiques, mais dans l’application de gestion des étudiants, Apogée, la maquette est reproduite à l’identique.
Laurence Havé (Université Paul Valéry-Montpellier 3): J’ai une question pratique : comment se passent les examens et les modalités de contrôle de connaissances pour ces étudiants ? Vous déplacez-vous ? Est-ce le RLE qui s’occupe de l’organisation des épreuves dans un temps donné ?
Karine Marot : La réponse est très courte, c’est le RLE, monsieur Gauvreau qui fait tout !.. Les sujets sont transmis au proviseur. C’est lui qui organise l’examen en fonction de notre calendrier.
Jean-René Gauvreau : Effectivement, c’est sous la responsabilité du RLE que se déroule l’examen : avec le temps imparti, propre au sujet, les conditions sans documents, et un professeur qui surveille l’épreuve lorsqu’il y a plusieurs étudiants de la même spécialité. Les copies sont ensuite transmises au professeur à Marne-la-Vallée qui les corrigera comme celles des autres étudiants.
Karine Marot : Nous avons conservés les mêmes modalités avec des partiels pour le cours magistral et des notes de TD pour les devoirs intermédiaires que nous ont rendus les étudiants.
Antoine Rauzy (UPMC / Président FIED): Il y a quelque chose que je n’ai pas bien compris, moi tel que je l’entends, nous sommes dans un processus d’enseignement en présence. Où est la distance ?
Karine Marot : Nous sommes dans un processus hybride. A distance, car j’ai dans mon ordinateur tous les cours que m’ont transmis les enseignants. Ces cours ont été retravaillés, réécrits pour qu’ils soient utilisables directement. Nous les transmettons à la maison d’arrêt. Par exemple, en Histoire, il y a un enseignant qui ne se rend que deux fois à la maison d’arrêt. J’emmène donc son cours, le distribue à ses étudiants lorsque je les rencontre pour mon propre cours. Au milieu du semestre, l’enseignant de la discipline s’y rend une première fois, afin de voir où en sont les étudiants dans leurs lectures du cours et s’ils ont des questions à poser. L’enseignant s’y rend une seconde fois, à la veille des partiels. C’est donc plus de la distance en fait, dans la mesure où l’étudiant se trouve, un peu comme avec des cours du CNED, avec une petite liasse de cours et s’en débrouille avec quand même deux interventions ponctuelles de l’enseignant du CM.
Antoine Rauzy : Le dispositif, l’encadrement, l’aspect supplémentaire du dépôt de cours, c’est toi qui l’assure en dehors de ta discipline en quelque sorte ?
Karine Marot : Oui, il faut savoir que nous sommes une des plus petites universités d’île de France et c’est très facile pour nous car les enseignants sont proches. J’ai des collègues qui reviennent avec des copies pour moi ou un autre collègue. Cela permet d’aller vite et d’être très réactif.
Jean-René Gauvreau : Si je peux me permettre de compléter, il arrive parfois que le RLE complète lorsque l’étudiant a des questions, ou besoin d’effectuer une recherche documentaire. Il m’arrive de le faire pour lui, de télécharger des documents complémentaires au cours sur Internet puisqu’il n’y a pas accès. A Fleury-Mérogis, nous avons parfois la venue de trois élèves de l’école polytechnique en stage de six mois qui permettent d’utiliser leurs compétences. Par exemple, l’an dernier, une de ces élèves avait des compétences en sociologie et pouvait intervenir pour aider les étudiants dans ce domaine. Cette année, nous avions un autre élève, titulaire d’une licence d’Histoire, qui complétait les interventions auprès de l’étudiant de L2 Histoire. A l’occasion, ce peut être aussi un étudiant du GENEPI.
Karine Marot : Un autre exemple, pour les Mathématiques, le collègue qui intervient à Fleury-Mérogis rencontre à chaque fois les trois étudiants polytechniciens qui font du tutorat en math. auprès des détenus. Nous travaillions effectivement l’an dernier avec des étudiants du GENEPI, mais ne l’avons pas fait cette année car il semblerait qu’ils revoient leurs fonctions au sein des établissements pénitentiaires. C’est en tout cas une aide précieuse.
Michèle Lacombe (UPMC-Sorbonne Université) : Votre activité, telle qu’elle est, suppose une localisation entre Marne-la-Vallée et Fleury-Mérogis. Pour ma part, je contacte des étudiants qui sont à Nantes, à Bordeaux… et le déplacement des enseignants de Paris vers ces différentes villes devient extrêmement difficile à envisager. Nous avons une dispersion énorme des quelques inscrits.
Karine Marot : Nous ne travaillons en présentiel qu’avec la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Cependant, nous travaillons également avec 7 prisons en ayant entre 70 et 80 étudiants inscrits au DAEU.
Jean-Luc Guyot : Ce qui a été mis en place au niveau de la Région île de France a considérablement modifié le paysage en terme de volume. Vous parliez tout à l’heure de méthodologie. Dans les écrits qu’on lit concernant les étudiants en milieu pénitentiaire, on voit systématiquement arriver cette problématique : pour devenir vraiment un étudiant, il doit y avoir un travail d’appui méthodologique assez conséquent. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, sur la nature de cette aide méthodologique qu’il est nécessaire à mettre en place ? Peut-être une autre question aussi pour le RLE : quelle différence faites-vous en ce qui se passe avec Marne-la-Vallée et peut-être un suivi d’étudiant plus classique, avec moins de présentiel, que vous avez déjà fait ?
Karine Marot : En ce qui concerne la méthodologie, nous reprenons les fascicules utilisés avec nos autres étudiants. Nous travaillons avec nos étudiants incarcérés à la lecture de ces documents, en particulier la partie rédactionnelle, car beaucoup sont des décrocheurs et certains ont passé absolument tous leurs diplômes en prison. Ils ne sont pas académiques, et il nous faut leur faire intégrer les canons de la dissertation par exemple. C’est long, mais comme ils travaillent beaucoup et rendent beaucoup de devoirs, ils avancent assez vite. Ce sont des décrocheurs qui ont décrochés, parfois jeunes pour des conditions qui n’étaient pas forcément liées à leur scolarité, mais à leur environnement. Ils ont les compétences pour aller dans l’enseignement supérieur. Cela ne fonctionne pas pour tous, mais tous progressent.
Jean-René Gauvreau: Pour le RLE, il est beaucoup plus simple de n’avoir à faire qu’à une seule université partenaire, et proche, car les professeurs se déplacent et le contact est beaucoup plus simple à établir. Si nous revenons à l’enseignement à distance classique, il est très rare de voir des professeurs directement. Nous pourrions utiliser les forums mis en place, mais les RLE n’ont pas le temps de le faire, d’autant plus que depuis le mois de novembre 2014, Internet n’est plus accessible sur l’ordinateur du bureau du RLE. Cela signifie que tout le travail en relation avec les autres universités s’effectue à partir du domicile du RLE. Cela induit une vraie perte en confort, et nous sommes vraiment en situation de handicap numérique, comme le qualifiait déjà Alain Boussarie.

 

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FIED - Alain Boivin