Enjeux et perspectives de l’enseignement universitaire
à distance en milieu carcéral
en collaboration avec la Direction de l'Administration
Pénitentiaire
Trajectoires scolaires
et identités étudiantes en milieu carcéral
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Fanny
Salane, Maître de conférences en sciences de l'éducation,
Université Paris Ouest Nanterre.
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Je vais vous présenter mon travail de thèse
que j’ai soutenue en 2009 sur les étudiants en milieu carcéral.
La commande qui m’a été faite aujourd’hui est
de vous présenter mes résultats, en appuyant sur les difficultés
que vous rencontrez, mais aussi en vous présentant d’autres
résultats qui pourraient vous intéresser.
Parcours et choix du sujet
Le choix du sujet découle d’un triple intérêt.
D’abord un intérêt personnel
pour les étudiants avec trajectoire, ce qu’on
peut appeler en Sciences de l’Education, atypique ou improbable,
c’est-à-dire qui n’ont pas la figure de l’héritier
et pourtant se retrouvent à faire des études supérieures.
Dans mes travaux précédents, en maîtrise et en DEA,
j’avais travaillé sur les enfants de paysans qui accédaient
au milieu universitaire, en tant que premiers de leurs familles à
y accéder et comment ils devaient construire une identité
étudiante, alors qu’ils n’avaient pas de référents
autour d’eux pour la construire. Pour ma thèse, j’ai
souhaité continuer dans ces trajectoires atypiques et me suis intéressée
aux étudiants incarcérés.
Le second intérêt était lui théorique.
Ce qui m’intéressait en Sociologie de l’Education étaient
les mécanismes de socialisation au monde étudiant, les mécanismes
de construction de l’identité étudiante. La question
sous-jacente était de savoir si on peut se construire, se considérer,
être étudiant alors qu’on est dans un milieu a priori
dans lequel on a une identité de détenu, une autre identité
à l’extérieur, en alternance avec cette identité
et si oui, comment la défendre, laquelle mettre en premier etc.
Il ne suffit pas d’avoir sa carte d’étudiant pour se
sentir étudiant, être étudiant ou pour être
reconnu comme étudiant.
L’intérêt « politique
» justifie mon double ancrage dans la sociologie
de la prison et la sociologie de l’éducation puisqu’à
partir de ce tout petit sujet, je reviendrai sur les étudiants
qui sont extrêmement marginaux dans le monde carcéral, l’intérêt
était à la fois d’analyser le système pénitentiaire
en prenant une population à la marge et voir ce qu’elle pouvait
me dire du fonctionnement du milieu pénitentiaire, la place qu’on
donnait à ce monde-là, au-delà du discours affiché
de favoriser l’éducation en prison, ce qui se passait dans
les faits pour cette population particulière.
Ce qui m’intéressait aussi était d’interroger
le système scolaire sur sa prise en charge des étudiants
atypiques. Les universités, les établissements d’enseignement
supérieur prenaient-ils en compte ces étudiants ? Que mettaient-ils
en place ? Prévoyaient-ils des adaptations ?
Les questions qui se posaient au départ étaient donc ce
que je viens d’évoquer : les caractéristiques de la
scolarité dans l’enseignement supérieur en prison
et la construction et le sens de l’identité étudiante
en prison, les logiques d’affiliation et le rapport aux études
que ces étudiants pouvaient construire.
Ma recherche partait du postulat qu’on ne considère pas l’incarcération
comme un moment isolé, mais vraiment comme une étape dans
la biographie des individus. C’est-à-dire que cette incarcération
n’agit pas en vase clos, d’où l’intérêt
pour moi de travailler en terme de trajectoire, et quand je travaille
sur la trajectoire des étudiants en prison, je m’intéresse
bien sûr à leur trajectoire avant d’aller en prison
: leur trajectoire scolaire, leur trajectoire professionnelle, leur trajectoire
familiale etc. J’ai donc développé une perspective
biographique puisque, je vous le montrerai, on se construit
en tant qu’étudiant par rapport à une identité
d’élève, d’écolier, de professionnel
qu’on avait construite au préalable et qu’on réajuste.
Une perspective compréhensive
également puisque ce qui m’intéressait était
le sens que les individus donnent à leur expérience d’étudiant.
Ce dont je vais parler ici est issu uniquement de la parole des personnes
détenues. C’est vraiment ce qu’ils nous disent de ce
qu’est être étudiant en prison et je n’ai pas
croisé avec ce que pouvaient dire les enseignants en vis-à-vis
ou l’administration pénitentiaire. Nous sommes bien sur leur
vérité à eux, leur réalité à
eux, qui forment ce qui m’intéressait dans ce travail.
Choix méthodologiques
Enquêter en milieu carcéral : des portes à franchir
; l’accès à la population étudiante en prison
: déléguer sa recherche ; le choix du travail par questionnaires
; le choix du travail par entretiens ; les forces et limites des choix
méthodologiques.
Je passerai assez rapidement puisque ce n’est pas le cœur
de la journée. Quand on va travailler en prison, il faut aussi
réfléchir aux raisons pour lesquelles on choisit ce sujet,
je pense que c’est vrai aussi pour les enseignants de l’université
qui se déplacent dans les établissements pénitentiaires,
ce qu’on croit pouvoir rencontrer et je pense aussi qu’il
faut avoir conscience de la part de fascination, de mystère que
peut entretenir la prison, pour mettre à distance sa recherche
et essayer de garder un esprit scientifique. Ce sont aussi des portes
psychologiques et mentales que le chercheur pourrait avoir et avoir
conscience de cette fascination, des difficultés et ne pas croire
que, parce que c’est en prison ce sera forcément très
difficile, très compliqué, que cela mettra peut-être
en danger, donc avoir une posture héroïsante, de faire quelque
chose d’extraordinaire qui valoriserait aux yeux des collègues
qui se déplacent dans les établissements, eux dans les
établissements scolaires et moi dans les prisons, ce qui est
quand même très différent.
Il faut donc aussi se garder de cela, déjà en avoir conscience,
car il est parfois plus facile d’aller dans certains établissements
pénitentiaires que dans certains établissements scolaires.
Des portes à franchir car ce n’est pas facile, moi je voulais
travailler sur la population étudiante disséminée
partout en France. Autant on peut relativement facilement rentrer dans
un établissement pour faire une enquête, de l’observation
si on connait un chef d’établissement ou si on a des contacts,
comme je devais atteindre une population partout en France, j’ai
dû avoir des autorisations de la direction de l’Administration
Pénitentiaire, ce qui a pris pas mal de temps surtout que j’avais
deux outils qui demandaient donc des autorisations pour les questionnaires
et d’autres pour les entretiens et pouvoir entrer dans les centres
de détention. C’est aussi un temps qu’il a fallu
compter. Je pense que maintenant, avec les temps de thèse qui
se restreignent, je ne pourrais plus effectuer une recherche comme je
l’ai fait. J’ai eu la chance de pouvoir la faire sur six
ans ce qu’on aurait beaucoup de difficulté à défendre
actuellement.
L’accès à la population en prison a été
assez compliqué puisqu’au départ je n’avais
aucune donnée pour savoir où étaient les étudiants,
où était ma population, comment les atteindre. J‘ai
pris à la fois contact avec chaque établissement, ce qui
était très coûteux en temps et en argent, et passer
par l’administration pénitentiaire était assez complexe
puisqu’il n’y avait pas forcément de données
actualisées qui dépendaient des remontées qui pouvaient
être récentes ou plus anciennes.
Je suis donc passée par les Unités Pédagogiques
Régionales en me disant que cet échelon était peut-être
plus proche de la réalité que l’administration centrale
et, en même temps, c’était moins coûteux que
de contacter tous les établissements. Avec leurs données,
j’ai repéré les établissements dans lesquels
il y avait potentiellement des étudiants. Une fois obtenues toutes
les autorisations pour faire passer les entretiens, j’ai envoyé
les questionnaires pour ces entretiens aux enseignants qui étaient
sur place. Je faisais le pari que ces personnels enseignants seraient
les plus aptes et peut-être les plus intéressés
par ma recherche et donc les relais les plus favorables pour moi. Je
pense, au vu des retours, que c’était une bonne décision.
Je leur avais envoyé une lettre avec une explication sur ce que
j’attendais de l’enquête, qui j’étais,
sur ce que j’attendais de leur part puis mon questionnaire et
une lettre le concernant et son intérêt, adressés
à la personne incarcérée étudiante. Je joignais
au tout une enveloppe timbrée pour maximiser le taux de retour,
ce qui a assez bien marché.
Je travaillais d’abord par questionnaire, puis par entretien,
l’idée étant que le questionnaire me permettrait
d’avoir quelques données de cadrage qui permettraient de
savoir ce que sont ces étudiants, où ils sont inscrits,
à quel niveau d’études, dans quelle discipline –
nous n’étions pas dans quelque chose qui permettrait de
faire des tris croisés. J’ai exploité 71 questionnaires,
ce qui représentait à peu près le tiers des étudiants
incarcérés, je ne m’intéressais pas au baccalauréat
ou au DAEU. A la fin du questionnaire, je demandais si la personne était
d’accord pour continuer cette recherche à travers un entretien.
Sur cette page-là, cela brisait l’anonymat puisque je demandais
à la personne son numéro d’écrou, son nom.
Ensuite, je traitais les questionnaires à part et je gardais
cette feuille. J’ai ensuite négocié, établissement
par établissement, pour rencontrer ces personnes en entretien.
J’ai rencontré 45 personnes et effectué 49 entretiens,
car j’ai vu certaines personnes plusieurs fois.
La force principale des choix méthodologiques tient aux deux
outils : le questionnaire et les entretiens. Le questionnaire permettait
à la fois de cadrer ma recherche et d’affiner mon guide
d’entretiens, puisqu’en fonction des réponses obtenues,
certaines questions paraissaient moins pertinentes que d’autres,
n’étaient pas assez creusées. Bien évidemment,
la complémentarité de cela est qu’on ne mesure pas
la même chose et que l’entretien permet de revenir sur la
non linéarité des trajectoires alors que le questionnaire
peut laisser penser le contraire. Les entretiens permettent de voir
les retours en arrière en milieu scolaire, les différentes
incarcérations, l’articulation avec la trajectoire scolaire.
Le questionnaire m’a permis en quelque sorte d’avoir le
pied dans la porte car je ne sais pas combien j’aurais rencontré
de personnes détenues si je les avais contactées directement,
en disant je suis chercheur, je souhaite avoir un entretien avec vous,
êtes-vous d’accord ?
Passer par ce questionnaire long, coûteux en temps mais qui les
intéressait fortement, car il parlait de leurs études
et qu’eux s’adressaient à une étudiante, m’a
permis de bénéficier d’entretiens en nombre assez
conséquent.
Les principaux résultats
Les détenus étudiants sont des détenus différents.
C’est assez évident au vu de la trajectoire scolaire des
personnes incarcérées. Très clairement, les détenus
étudiants sont une population privilégiée en prison,
dans le sens où ils ont eu une trajectoire scolaire plus importante,
plus longue, avec un niveau d’études et de diplômes
plus élevés que l’ensemble de la population carcérale.
Ils ont des trajectoires professionnelles plus insérées,
un taux de chômage plus bas au moment de leur incarcération
que l’ensemble de la population carcérale. Ils ne sont
pas ressemblants à l’ensemble de la population carcérale,
si on prend une biographie globale. Le questionnaire m’a permis
aussi de voir le niveau de diplôme de leurs parents, de leurs
frères et sœurs et on voit aussi qu’ils sont issus
de milieux sociaux plus favorisés.
Ils sont aussi différents par leur parcours pénal et carcéral.
C’est peut-être quelque chose à prendre en compte,
quand on est enseignant ou personnel administratif en EAD. Généralement,
les personnes qui s’investissent dans les études supérieures
sont des personnes condamnées. C’est-à-dire qu’elles
attendent que leur procès soit passé, que leur peine soit
connue - ce qui ne signifie pas que le projet n’existait pas,
qu’ils n’ont rien fait avant - mais qu’ils attendent
cela avant de s’investir dans un cursus scolaire pendant leur
incarcération. Au moment de mon enquête, pour vous donner
une idée car cela a changé depuis, il y avait 2/3 des
personnes détenues qui étaient condamnées et pour
celles que j’ai rencontrées, cela représentait les
3/4. Bien évidemment ce sont des personnes condamnées
et très souvent à de lourdes ou très lourdes peines.
Elles ont du temps devant elles, s’interrogent sur ce qu’elles
vont en faire – certains s’investissent dans d’autres
activités et d’autres s’investissent notamment dans
les études car elles peuvent le combiner avec d’autres
choses.
J’avais de très lourdes peines, des condamnés à
la réclusion criminelle à perpétuité, ce
qui est assez rare sur l’ensemble de la population carcérale,
et j’en ai rencontré 5 sur 45 ce qui est un taux important.
Ce sont des personnes condamnées, qui sont très peu en
Maison d’Arrêt où règne la surpopulation,
mais dans des centres de détention pour lesquels il y a un numérus
clausus, donc pas de surpopulation. Les conditions sont donc défavorables
en Maison d’Arrêt, qui est le type de lieu où se
déroule l’expérimentation dans laquelle intervient
l’université de Marne-la-Vallée. Ce n’est
pas là que se trouvent principalement les étudiants.
Le moment du procès et l’installation dans un établissement
de manière définitive sont les déclencheurs pour
l’investissement dans les études.
L’institution pénitentiaire, en tant que telle, entraîne
des effets sur les conditions d’études, par exemple des
difficultés par rapport à des questions sécuritaires,
par rapport au fait qu’il y a différents blocs qui font
que des étudiants n’appartenant pas à un même
bloc mais poursuivant des études similaires ne pouvaient jamais
se croiser. Le fonctionnement de l’institution pénitentiaire
a un impact sur la façon de mener ces études, mais le
fonctionnement de l’établissement lui-même en a un
également. Il faut voir comment les études sont prises
en compte dans les établissements et on voit bien que dans les
lieux où le RLE rencontre des difficultés avec la direction
pour justifier de son engagement auprès des détenus étudiants,
cela génère des difficultés (difficultés
matérielles, de prêt de livres etc.). A l’inverse,
lorsque la direction et/ou le personnel pénitentiaire est intéressé
par ces questions,cela favorise le regroupement de personnes détenues,
leurs déplacements car les surveillants savent par exemple qu’ils
travaillent ensemble, on constate que cela met de l’huile dans
les rouages et que l’impact est très différent.
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Les
profils trajectoires scolaires, professionnelles et d’affiliations
au monde étudiant
La population étudiante n’est pas monolithique mais si on
regarde en finesse, notamment en articulant questionnaires et entretiens,
on peut voir émerger trois profils.
Le premier profil que j’ai qualifié de continuité
directe avec leurs trajectoires scolaires et professionnelles
antérieures. Cela concerne un peu plus de quatre étudiants
sur dix, donc la majorité des personnes que j’ai rencontrées.
Ce sont majoritairement des personnes jeunes qui ont été
incarcérées alors qu’elles suivaient un parcours de
formation (lycéen, étudiant) ou des personnes âgées
possédant un fort capital social, culturel. J’ai classifié
ces derniers « en continuité » car même s’ils
attendent que le procès se passe, même si cela peut prendre
du temps, pour eux, les études sont ce qu’ils faisaient à
l’extérieur, ce qu’ils savent faire, notamment pour
les lycéens ou les étudiants. Les personnes ayant un capital
social, culturel, scolaire plus élevé - par exemple un détenu
qui dit qu’il est plus à l’aise dans une bibliothèque
que sur un terrain de basket, donc quand il est arrivé en prison,
il a cherché à reprendre des études - sont dans une
construction d’un projet scolaire et/ou professionnel en prison
qui est en cohérence avec leur parcours antérieur. Ce sont
des étudiants qui se reconnaissant en tant que tels, mais surtout
qui n’ont aucune difficulté à se faire reconnaître
comme étudiants par l’administration pénitentiaire,
par les surveillants qui trouvent normal qu’ils poursuivent des
études, car ils étaient antérieurement enseignants,
médecins etc. Cela entraine aussi des facilités pour faire
entrer des livres, car ils sont tout à fait légitimes à
être dans cette condition d’étudiants.
Le second profil que j’ai intitulé en continuité
transposée est un peu la surprise de ma thèse,
représente à peu près deux personnes sur dix. Ce
sont des personnes qui, à l’extérieur, avaient certes
une trajectoire scolaire plutôt courte, dans des filières
professionnelles mais qui, à l’extérieur déjà,
avaient suivi des activités de formation, notamment pendant leur
trajectoire professionnelle : des cours du soir, des cours du CNAM, des
formations à distance, etc. C’est ce que révèlent
les entretiens. Ils étaient déjà dans une volonté
de redressement de leur trajectoire scolaire ou professionnelle pour changer
de poste, obtenir une promotion. On est sur une appétence qui était
déjà existante et du coup les compétences méthodologiques
particulières - qu’on ne possède pas, parce qu’il
y a des difficultés à les avoir quand on est loin du milieu
scolaire, et veut raccrocher au milieu universitaire - eux les avaient
déjà, car ils étaient familiarisés avec les
activités de lecture, d’écriture, de rédaction
qu’ils ont finalement transposées une fois incarcérés.
Ce qui est intéressant dans ce groupe, c’est que très
souvent dans leur trajectoire, dans leur vie familiale, ils ont des compagnes
qui sont mieux dotées scolairement et professionnellement qu’eux
et les avaient déjà motivés à l’extérieur
à suivre des cours du soir, à compléter leur formation
et qui, une fois incarcérés, les encouragent à s’inscrire,
à faire des études, à obtenir tel diplôme,
etc.
Le troisième profil que j’ai appelé en
rupture, concerne des personnes qui se rapprochent le
plus de l’image de la population carcérale, c’est-à-dire
parcours scolaire court, chaotique, très douloureux (j’ai
vu des personnes de 45 ans pleurant lors de l’entretien lorsqu’ils
évoquent leur enseignant de l’école primaire qui les
a humiliés), des orientations professionnelles ni choisies ni voulues,
des trajectoires professionnelles quasiment inexistantes, des périodes
de chômage, de l’intérim, des signes de désaffiliation
assez forts (des problèmes familiaux, problèmes de divorces,
problèmes de garde d’enfant) un cumul de difficultés.
Nous sommes là dans un processus de raccrochage qui, très
souvent, a été précédé d’une
invitation sanitaire, psychologique et est marqué aussi pour beaucoup,
par l’arrêt d’un cycle de dépendance à
des produits divers.
En accord avec une trajectoire pénale relativement longue, voire
réitérée, car ils ont parfois commencé lors
d’une première incarcération, à passer le CFG
puis lors d’une autre, le brevet… et quand je les rencontre
ils sont engagés dans des études supérieures.
Ce sont les personnes qui ont le plus de mal à se faire reconnaître
comme étudiants et à faire reconnaître la légitimité
à la reprise d’études et au fait d’être
engagés dans des études supérieures.
Ils sont en véritable conversion identitaire. Dans leur discours,
ils sont devenus d’autres personnes. Ils ne sont plus eux-mêmes,
ils ont une autre identité par rapport à ce qu’ils
étaient à l’extérieur, par ou grâce aux
études mais pas uniquement, certains ont rencontré des femmes
lorsqu’ils étaient en prison et celles-ci les ont beaucoup
soutenus, appuyés, motivés par rapport à la question
de la reprise d’études.
Lorsqu’on fait de la sociologie de l’éducation, on
sait bien que les mères, d’abord, les sœurs, sont des
personnages très importants dans la construction d’une trajectoire
scolaire, notamment une trajectoire de réussite. Cela se vérifie
aussi pour les personnes que j’ai rencontrées. Nous avons
les mères pendant leur enfance, puis les sœurs pour suivre
les devoirs et enfin les compagnes qui, à l’extérieur,
les poussent à apprendre et à l’intérieur les
aident, fournissent des livres, etc… De manière générale,
on ne peut réussir des études en prison que si on est soutenu,
très fortement soutenu, et c’est pour cela aussi que je parlais
de population privilégiée.
Si on est seul, si on n’a pas d’affiliation à l’extérieur,
notamment si on est dans le troisième groupe, c’est complexe
de mettre en place ces mécanismes de solidarité notamment
d’échange de livres, de partage de cours, etc…
L’importance des «
autrui significatifs » (les femmes)
Les personnes qui sont dans une identité étudiante forte
revendiquée sont des personnes qui peuvent prendre appui sur des
autrui significatifs - ce qu’on appelle en sociologie des «
autrui significatifs », sont des autrui qui sont particulièrement
significatifs pour nous, pour notre identité, pour notre propre
construction. Ces autrui significatifs peuvent être des femmes,
des détenus - un modèle qu’on a rencontré et
qui a fait prendre conscience que, peut-être, on ne va pas passer
sa peine à ne rien faire, un vieux détenu qui dit à
un jeune qu’il va s’épuiser s’il est violent,
s’il s’énerve, etc… et que passer 15 ans comme
cela sera compliqué. Ce sont parfois des enseignants. Des enseignants
sur place, à la fois pour ce qu’ils peuvent apporter comme
soutien logistique et comme motivation, des enseignements à distance
(beaucoup ont parlé d’Auxilia, car ils avaient commencé
avec ce service d’enseignement à distance) et des enseignants
qui se déplacent, font les relais.
J’insiste sur l’importance de ces autrui significatifs, bien
sûr en soutien logistique, financier, moral mais c’est aussi
un soutien identitaire : on est étudiant si on est reconnu comme
étudiant. Plus on est reconnu comme étudiant, plus on doit
mettre en scène son identité et plus cette identité
est constructive et positive.
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oOo
FIED - Alain Boivin |